Mahfoud Kaoubi, analyste économique et financier
« Avec la levée des blocages structurels, un taux de croissance de 4,5% en 2021 est réalisable »
Interview réalisée par Chérif B.
CHANTIER DZ : Après une année 2020 marquée par un ralentissement sensible de la machine économique nationale, en raison de la pandémie Covid-19. Comment estimez-vous les chances de la relance en 2021 ? et quelles sont, selon vous, les clés ou les éléments-pivot d’un redémarrage réussi ?
Il est nécessaire de rappeler que la machine économique a commencé à se gripper à partir de l’année 2016, après que la chute des prix du pétrole commença à s’inscrire dans la durée. La situation s’aggrave au fil des années pour se complique sérieusement en 2019 puis en 2020 où le PIB a reculé de 6,9% pour plusieurs raisons dont les effets de la COVID 19.
L’année 2021 connaîtra, certainement, des résultats nettement meilleurs. Le gouvernement table sur un taux de croissance de 4,5%. Cet objectif demeure, toute fois, difficilement réalisable. Le contexte économique mondial étant contraignant, difficile et marqué par plusieurs incertitudes.
En plus des mesures d’urgences prises par les pouvoirs publics pour soulager de la détresse financière des entreprises d’autres actions devraient être matérialisées dans les délais les plus courts afin de garantir un environnement favorable pour un redémarrage rapide de la machine économique, dont notamment ;
- La mise en place d’un dispositif de soutien aux entreprises en difficulté. Ce dernier devrait englober les mesures de nature fiscale, sociale mais surtout un allègement du poids du service des dettes financières.
- L’accélération de l’opération d’apurement des créances que détiennent les entreprises sur l’état et des processus de liquidation et de paiement des factures et autres situations constatées.
- Traitement rapide des demandes de crédit actuellement en souffrance au niveau des banques et des établissements financiers.
- Reprise de traitement des demandes d’accès au foncier industriel et dégel des dossiers actuellement bloqués au niveau du conseil national de l’investissement.
D’autres mesures s’inscrivant dans la durée devraient être contenues dans les différentes réformes devant être traduites en actes durant le premier trimestre 2021 visant à lever les blocages structurels qui entravent le passage à une économie de compétition.
Plusieurs annonces ont été faites, ces derniers temps, par les hauts responsables du pays concernant des mesures incitatives à l’investissement. Pensez-vous que cela est venu au bon moment ? Et comment peut-on motiver davantage les porteurs de projets et créateurs de richesse ?
Mahfoud KAOUBI : Effectivement, plusieurs mesures ont été déjà adoptées pour lever certains obstacles qui entravent l’investissement. Parmi ces mesures, la révision de la règle 51/49, la simplification des procédures de création d’entreprises, des incitations fiscales et financières pour les porteurs de projets innovants ou encore la création de fonds d’aide aux jeunes porteurs d’affaires. Ces mesures viennent répondre à des revendications des représentations patronales et aux recommandations d’experts du monde de l’entreprise.
Par ailleurs, le dispositif juridique relatif à l’investissement et celui du foncier industriel ne sont à ce jour pas encore promulgués. Ces actions visent à faciliter l’acte d’investir et à le soutenir.
Il faut surtout signaler que les maux dont souffrent le monde de l’investissement productif ont trait principalement à :
- La dualité des marchés, conséquence de la dualité des régimes des prix
- Un environnement juridique et institutionnel souvent inadaptés, coupé des marchés et de leurs logiques
- Un environnement financier marqué par le poids du secteur public et ses contraintes qui compliquent les processus de financement.
- Un régime de taux de changes qui crée le plus souvent des conditions favorables à l’acte de commercer qu’à celui de produire
Ces entraves, fondamentales, ne pourraient être levées avec de simples actions temporaires, combien même bénéfiques, mais devraient faire l’objet d’une réforme de l’ensemble du système économique, administratif et financier en Algérie.
L’audience accordée, le 05 janvier 2021, par le Président de la République aux représentants des confédérations, un geste historique et premier en Algérie, a été saluée par le patronat. Cela se répercuterait-il positivement ion sur le moral des investisseurs en cette conjoncture particulière ?
Mahfoud Kaoubi : Cette première constitue certainement un signal fort du premier responsable du pays envers la population des entrepreneurs, notamment dans une période où ces derniers rencontrent de réels problèmes.
Néanmoins, cela devrait être suivi par des actes permettant un soutien concret sur les plans économiques, financiers et sociaux.
La dépénalisation de l’acte de gestion annoncé par le Président de la République le 19 août 2020 devrait pousser les entreprises publiques à être plus offensives dans l’acte d’investissement, un acte qui doit être accompagnée inéluctablement par la prise de risque. Vous attendez-vous, suite à cela, à une meilleure gestion et rentabilité de ces entités économiques publiques ?
Depuis la mise en œuvre des réformes des entreprises publiques de 1988, que la question de la dépénalisation des actes de gestion revient dans les débats sur la gestion des entités publiques.
Lors des journées nationales sur le plan de relance économique, le président de la république annonça la nécessité de dépénaliser l’acte de gestion afin de donner plus de liberté aux gestionnaires et les réconcilier avec les impératifs de l’efficacité et de la rentabilité économique. A ce jour cette décision n’a pas encore été traduite en texte juridique. Toutefois, le mal qui ronge la problématique de la gestion des entreprises publiques ne se limite pas à cette question de responsabilité mais aussi à un environnement interne et externe à ses entreprises qui est très contraignant et qui réduit sérieusement de leurs compétitivités sur les marchés.
L’abrogation de la règle 51/49%, annoncé le 10 mai 2020, devrait, elle-aussi insuffler une nouvelle dynamique à l’investissement direct étranger (IDE). Votre impression et vos attentes ?
Mahfoud Kaoubi : La révision de la règle constitue un signal fort pour dynamiser l’investissement en général et celui des IDE en particulier. L’effort devrait continuer encore pour mettre à niveau l’environnement juridique, institutionnel, économique et financier si nous voulons avoir une place dans un monde impitoyable où les flux d’investissements dans les pays du sud sont de moins en moins importants et ou la concurrence entre les pays est de plus en plus féroce pour capter les IDE.
Le secteur bancaire a toujours été mis à l’index par les opérateurs économiques. L’orientation du Président à cet effet pourrait-elles amener à l’amélioration des services et à une plus forte implication des banques dans la sphère économique nationale ?
Mahfoud Kaoubi : Le secteur bancaire est otage de la logique d’organisation et de fonctionnement des marchés réels, il est aussi otage d’une logique de fonctionnement d’un secteur bancaire public qui ne répond pas aux impératifs de la liberté et de la concurrence.
Une réforme s’impose. Elle doit passer par une réorganisation des marchés et par une nécessaire révision de la relation entre l’Etat puissance publique et des banques devant faire du commerce.
A.H
« Ces entraves, fondamentales, ne pourraient être levées avec de simples actions temporaires, combien même bénéfiques, mais devraient faire l’objet d’une réforme de l’ensemble du système économique, administratif et financier en Algérie »
« La révision de la règle constitue un signal fort pour dynamiser l’investissement en général et celui des IDE en particulier. L’effort devrait continuer encore pour mettre à niveau l’environnement juridique, institutionnel, économique et financier favorable ».
Bio Express
Mahfoud KAOUBI est post gradué en finances. Il a occupé des postes d’analyste financier et de chargé de missions dans des établissements financiers. Manager Exécutif puis Manager Général d’un cabinet d’ingénierie Financière (IFCG), il a mené des missions de Montage, d’audit et d’évaluation de plus d’une centaine d’entreprises dont plusieurs domaines de l’activité économique.
Il est aussi consultant expert auprès de plusieurs instituions et enseignant contractuel auprès d’établissement d’enseignement publics et privés.