Interview/ Nasser Hideur , Directeur Général de Salam Bank Algérie
« Pour 2021, nous prévoyons un accroissement appréciable de notre activité »
Interview réalisé par Ahmed Haniche
LE CHANTIER DZ : La finance islamique gagne de plus en plus de terrain en Algérie, surtout concernant les crédits de consommation. Vous, qui êtes responsable dans ce secteur depuis plusieurs années, comment estimez vous la situation aujourd’hui ? et quelles sont les perspectives d’avenir de cette finance conforme à la Shari’a ?
Nasser Hideur : La finance islamique est présente en Algérie depuis le début des années 1990 à la faveur de la nouvelle loi bancaire, qui avait ouvert le secteur à l'investissement privé national et étranger. Il faut rappeler, à cet égard, que la première banque à capitaux privés et étrangers fut une banque islamique, en l'occurrence, la Banque Al Baraka d'Algérie, fruit d'un partenariat entre la BADR et le groupe saoudien Al Baraka. Par la suite, en 2008, Salam Bank Algeria, créée par des investisseurs du monde arabe, est venue conforter l'industrie financière shari'a compatible. Depuis et à la faveur du cadre règlementaire dédié à cette activité par les autorités monétaires à partir de 2018, les banques conventionnelles de la place ont lancé des projets de fenêtres islamiques et nombreuses ont récemment commencé leurs activités après avoir obtenu la certification de conformité shari'a de l'instance nationale de Fetwa du Haut Conseil Islamique et l'autorisation règlementaire de la Banque d'Algérie. Aujourd'hui nous pouvons dire que l'activité bancaire islamique est en pleine essor avec l'avènement de ces nouveaux acteurs, notamment les guichets islamiques des banques publiques. Le réseau d'agences plus dense de ces dernières est, en effet, de nature à élargir davantage l'offre des services bancaires-shari'a compatibles à l'ensemble des régions du pays où la sensibilité religieuse par rapport à la problématique du riba est très forte.
Face au succès réalisé par les premiers établissements financiers spécialisés dans la finance islamique, plusieurs autres banques publiques ont lancé ces derniers mois des produits de la finance islamique. Croyez-vous que la concurrence qui s’installe mènerait à améliorer le service et à rendre plus souples les modes de financement ?
Certes, la concurrence est un stimulant pour l'amélioration de la qualité de service et l'innovation financière. Elle l'est aussi, en ce qui nous concerne, pour le degré d'observance des préceptes shariatiques par les différents acteurs, chose à laquelle une frange significative de la clientèle accorde beaucoup d'importance. Les clients des banques sont de plus en plus exigeants sur le plan de la qualité, ce qui nous a amenés à Salam Bank à créer un département qualité et à renforcer les voies de dialogue et de communication avec le public notamment à travers nos pages et comptes sur les réseaux sociaux et une plate-forme électronique ( chatbot ) de traitement des réclamations et des doléances.
Lors de sa réception des confédérations du patronat, le 05 janvier 2021, le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a insisté sur la nécessité d’améliorer et de moderniser le système financier et bancaire. Quel rôle peut jouer la finance islamique dans le soutien à l’investissement productif ? Y a-t-il des projets dans votre établissement bancaire à cet effet ?
Salam Bank est une banque universelle proposant des services bancaires répondant à l'ensemble des besoins des opérateurs économiques et des ménages tout en observant les préceptes shariatiques régissant les opérations financières. Outre les comptes courants non-rémunérés, nous offrons des produits d'épargne tels que les livrets Omniyati, Hadiyati et Omrati ainsi que des comptes et bons d'investissement Istithmari à travers lesquels la banque fructifie les fonds des déposants dans des opérations de crédit à la clientèles moyennant un partage des profits selon les règles du contrat moudharaba. Les opérations de financement se réalisent par le biais de contrats de vente à terme à marge fixe ( mourabaha-bai ajil – bai bittakssit) ou de Ijara ( leasing; sous-location; financement des services ) ou d'avances sur marchandises ( salam-bai bilwakala) ou d'entreprise ( Istisnaa) ou des formules participatives de type moucharaka ou moudharaba à rendement variable. Dans tous ces instruments financiers, le contrat de prêt rémunéré qui constitue le fondement des pratiques bancaires conventionnelles est exclu. Nous proposons aussi des produits de paiement monétiques en dinars et en devises ( cartes amina- omniyati- visa ) ainsi que des services de banque à distance à travers les E et mobile banking, E-payment et bientôt le mobile payment et E-takssitinchallah.
Nous avons aussi un excellent service de commerce international non seulement en matière d'accompagnement de l'approvisionnement de nos entreprises en biens et services non produits localement mais aussi la facilitation des opérations d'exportation notamment à travers nos agences de Biskra et d'Adrar.
Modernisation, digitalisation, innovation, souplesse, rapidité de réactivité aux doléances des investisseurs....Un nombre important d’hommes d’affaires souhaitent recourir au mode de financement conforme à la Shari’a ( pour des considérations religieuses ou autres ). Pensez-vous que les capacités des banques islamiques actuellement sont à même de répondre aux sollicitations croissantes ?
Il est vrai que les deux banques islamiques historiques Al Baraka et Salam ne disposent pas d'un réseau assez étoffé pour assurer une meilleure couverture des besoins des entreprises et des citoyens sur l'ensemble du territoire. Mais leurs services demeurent très sollicités même dans les régions où elles ne sont pas représentées. En ce qui concerne les ressources et le niveau de capitalisation de ces banques, je pense qu'ils sont suffisants pour permettre l'accompagnement des PME bancables dans leurs besoins de fonctionnement et d'investissement car il ne s'agit pas de verser dans les excès du surendettement mais d'une allocation rationnelle et ciblée des crédits dans le cadre d'une politique rigoureuse de gestion des risques.
Dans le secteur du BTP, le besoin au financement sous forme de leasing est très demandé. Ce produit serait-il encouragé par votre banque ?
Oui, nous avons un département Ijara très actif. Nous accompagnons les entreprises du bâtiment et autres pour l'acquisition, à terme, du matériel dont elles ont besoin pour améliorer leur classification, mieux se positionner dans les mises en concurrence pour les marchés et commandes et conforter leurs capacités de réalisation. Il est vrai que les retombées des restrictions budgétaires et le ralentissement de la dépense publique qui continue à agir comme le principal moteur du secteur ont provoqué une baisse des concours depuis 2019. Mais, notre contribution à la production leasing de la place reste appréciable avec un encours de près de 12 milliards de DA.
Quelles sont les perspectives de votre banque en 2021, après une année 2020 ayant connu une paralysie de l’activité économique en raison de la pandémie Covid-19 ?
La pandémie de la COVID-19 a en effet perturbé l'activité économique déjà fortement mise à l'épreuve par la régression des prix des hydrocarbures. Mais nous restons optimistes quant aux perspectives d'avenir et nous ressentons sur le terrain des prémices, encore timides mais palpables, d'une reprise. L'Algérie dispose grâce à Dieu d'un potentiel économique appréciable. Il s'agit juste d'améliorer les modes de gouvernance et de poursuivre la démarche de transfert du modèle de croissance de la sphère publique vers la sphère privée qui est la véritable source d'accumulation et de valeur ajoutée durable. Il demeure entendu que cette privatisation de l'acte économique devrait être encadrée par des mécanismes de régulation et de contrôle rigoureux garantissant un strict respect des lois, des règles de transparence et d'une saine concurrence. En ce qui concerne notre banque, nous augurons l'année 2021 sous de bons auspices puisque, malgré les effets économiques négatifs de la pandémie, nous terminons l'exercice 2020 avec un encours de ressources de 129,3 milliards de DA, soit un taux de croissance de l'ordre de 26 %, un encours de crédits de 103 milliards, soit un accroissement de 7% et un PNB, certes en diminution par rapport à l'année dernière, mais se situant au niveau appréciable de 7,7 milliards de DA. Pour l'année 2021, nous prévoyons un accroissement des dépôts de 36 milliards de DA ( 28%), des crédit de 28 milliards ( 31%) et du PNB de 2 milliards ( 24%) et ce en dépit des répercussions économiques de la crise sanitaire qui continueront à se manifester aussi durant cette année.
A.H
« Aujourd'hui, l'activité bancaire islamique est en pleine essor avec l'avènement de nouveaux acteurs, notamment les guichets islamiques des banques publiques. Un réseau d'agences plus dense est à même d’élargir davantage l'offre des services bancaires-shari'a compatibles à l'ensemble des régions du pays où la sensibilité religieuse par rapport à la problématique du riba est très forte ».
« Il demeure entendu que cette privatisation de l'acte économique devrait être encadrée par des mécanismes de régulation et de contrôle rigoureux garantissant un strict respect des lois, des règles de transparence et d'une concurrence saine »