Benbouabdellah Abdelhakim, Secrétaire du Conseil National des Assurances :
« Il y a un impératif de développement d’autres formes de résilience »
Dans cette interview, le premier responsable du secrétariat permanent du Conseil national des assurances (CNA), M. Benbouabdellah Abdelhakim, brasse l’état des lieux et les perspectives du marché national des assurances qui a, de longues années durant, fait preuve de résilience avant d’être rattrapé par la double crise, politique et sociale, en 2019, et pandémique, en 2020.
Interview réalisée par Ahmed Haniche
LE CHANTIER DZ : Le secteur des Assurances a subi, au même titre que d’autres secteurs, l’impact négatif de la pandémie Covid-19. Comment cela s’est répercuté concrètement sur le secteur ? Et quel est votre analyse de cette situation fâcheuse ?
- L’impact est important. De toute évidence, le marché national des assurances ne pouvait échapper aux graves répercussions d’une crise sanitaire face à laquelle le monde entier a eu et a toujours toutes les peines pour sortir indemne et éviter le pire.
En économie, le pire est de voir des sociétés entières baisser rideau et voir des milliers de travailleurs grossir les rangs des sans-emplois. Le pire est de ne plus pouvoir faire du chiffre d’affaire et, ainsi, aller droit vers la faillite. Cela, beaucoup d’entreprises économiques à travers le monde n’ont pu l’éviter.
A l’instar de l’écrasante majorité des secteurs d’activités économiques, le marché national des assurances subit, par conséquent, les contrecoups de la crise sanitaire qui frappe la planète. Ce marché, déjà sous les contraintes de la crise socioéconomique et politique de 2019 qu’a vécues l’Algérie, a enregistré, à fin 2020, un chiffre d’affaires (prévisionnel, toutes branches confondues) de 137,3 milliards de DA, marquant une baisse de 6,1% par rapport aux réalisations de l’exercice 2019.
On le voit, à différentes échelles, la crise sanitaire induite par le nouveau Coronavirus (pandémie de la Covid-19) a laissé des traces indélébiles.
Toutes les branches d’assurances sont quasiment en baisse, y compris celles qui tiraient habituellement la croissance du secteur.
Ainsi, une baisse de 4,4% est enregistrée, au niveau des assurances de dommages (92% de la production du secteur). Elle est de 22,2%, au niveau des assurances de personnes (8% de la production du secteur).
En termes de volume, la branche « automobile », qui détient 51,2% de la production « assurances de dommages », fléchit de 6,8%, soit une perte d’un chiffre d’affaires de 4,7 milliards de DA, passant de près de 69,4 milliards de DA en 2019 à près de 64,7 milliards de DA, selon les prévisions de clôture de l’exercice 2020. Par ailleurs, et à titre illustratif, les conséquences de la crise multidimensionnelle, devenues causes du fléchissement du chiffre d’affaires en assurance automobile, sont multiples : suspension de l’activité des usines de montage automobile ; fermeture de plusieurs points de vente (confinement), instauration d’une taxe sur l’environnement, engendrant une baisse des souscriptions des garanties facultatives qui représentent les trois quarts du chiffre d’affaires de la branche, avant d’être supprimée dans le cadre de la Loi de Finances 2021, sont, entre autres, des éléments qui ont mis en difficulté la branche phare qui représente plus de la moitié du chiffre global du marché.
L’impact négatif le plus apparent est reflété par les chiffres du marché. Votre estimation ?
- Comparés à ceux de certains autres secteurs d’activité, les chiffres du marché national des assurances ne sont pas aussi catastrophiques. Il est vrai, cependant, que depuis maintenant un an, le chiffre d’affaires du marché national est en baisse, alors qu’il avait pu se maintenir dans le positif, tout au long des années qui avaient suivi la crise financière de la mi-2014, voire même durant la dure année 2019 avec ce qu’elle a charrié comme crise politique et sociale en Algérie. Cependant, le marché a subi, coup sur coup, des crises multiples, avec notamment les répercussions de la crise sanitaire née de la pandémie de Covid-19.
En effet, le taux d’évolution annuel moyen, pour la période allant de 2014 à 2020, bien que positif, n’est que de 1,3%, soit 1,2% en assurances de dommages et 2,9% en assurances de personnes.
Entre 2019 et 2020, la branche « IRD » qui occupe une part oscillant autour de 40%, n’a augmenté que de 0,3%, affichant, à fin 2020, une production d’un peu plus de 51 milliards de DA. Conséquence des retombées de la pandémie qui a entrainé la cessation d’activité de plusieurs clients, selon les informations émanant de nombre de sociétés d’assurances, et de la révision à la baisse des capitaux assurés pour certains d’entre eux.
Au terme de l’année 2020, la branche « transport » recule de 13,3%, passant d’un volume de primes émises de 6,4 milliards de DA, en 2019, à 5,5 milliards de DA. C’est une branche qui a été particulièrement touchée par la crise sanitaire induite par la pandémie de la COVID 19, qui s’ajoute à une conjoncture économique difficile, du fait de la baisse du trafic routier et maritime, de l’arrêt quasi-total du trafic aérien mais aussi, de la diminution exceptionnelle de l’activité de nombreuses entreprises, voire même l’arrêt temporaire et/ou définitif de certaines d’entre elles.
L’assurance « Crédit » régresse également de 12,2%. Diminution observée au niveau de toutes les sous-branches et de toutes les sociétés souscrivant des contrats en assurance « crédit ».
Les assurances agricoles, quant à elles, baissent de 1,8%, passant de près de 2,7 milliards de DA à 2,6 milliards de DA. En dépit des efforts consentis par la société leader (70% du chiffre d’affaires de la branche), à travers la signature d’une multitude de conventions, ainsi que des autres sociétés qui tentent de se frayer un chemin, dans le champ des assurances agricoles. Par ailleurs, cette crise sanitaire conjoncturelle a induit des retards de lancement de la campagne Labours-semailles 2020/2021.
Les réalisations des sociétés d’assurances de personnes marquent, pour leur part, une baisse de 22,2% par rapport à 2019, avec un chiffre d’affaires de près de 11 milliards de DA. La baisse est constatée, au niveau de toutes les
Cette baisse est, aussi, expliquée par le ralentissement de l’activité économique du pays, lié à la pandémie. Les principales régressions constatées concernent, dans la branche « assistance » (-73,6%), l’assurance voyage qui baisse considérablement, conséquemment à l’annulation des voyages et des vols ainsi que la fermeture des aéroports et, par conséquent, l’interruption des souscriptions (devant l’impossibilité de voyager, certains assurés ont sollicité la résiliation absolue de leurs contrats) ; et, en ce qui a trait à l’assurance « vie-décès » (avec une part de 47,9% du volume de primes totales de 2020), qui recule de 1,4% suite à la diminution des demandes de crédits immobiliers et de consommation au niveau des banques. S’ajoute à cela, l’arrêt temporaire des chantiers de réalisation des programmes immobiliers suite à la conjoncture sanitaire actuelle.
Avec l’amorce de l’année 2021 et ce qu’elle suscite comme espoir, s’agissant des vaccins contre la Covid-19, le marché national s’adapte-t-il, en termes de nouveautés, afin de sortir de la crise ? Quelles perspectives sont tracées pour le marché ?
Les perspectives du marché sont adossées à celles micro-économiques mais, également, macro-économiques. Rien ne peut être possible pour un assureur si la machine économique est grippée, voire à l’arrêt dans certaines circonstances, et le pouvoir d’achat plombé. Nous l’évoquions, dès les premiers jours du confinement, en mars dernier, un équilibre est nécessaire à trouver entre la préservation de la santé publique et la résilience face à la persistance de la crise économique.
Le potentiel du marché est tel qu’on ne peut se contenter de la moyenne actuelle de quelques cinq (05) millions de contrats souscrits globalement, par exemple, dans le cadre des assurances de dommages, à mi-2020. Notre marché devrait être capable de produire plusieurs centaines de milliards de dinars/an, soit, au moins, autour du quadruple de ce qui est produit présentement.
Pour cela, le marché national des assurances doit apporter, et pour ses acteurs de les approprier, des réformes nécessaires, dont la réorganisation de l’activité ; l’utilisation des technologies de l’information et de la communication -ayant été fortement sollicitées depuis l’instauration des mesures de confinement liées à la pandémie- ; la généralisation de la digitalisation, la formation de la ressource humaine suivant les standards internationaux , la diversification et la vulgarisation des produits d’assurance, l’amélioration du taux de pénétration et de la densité qui ne dépassent pas, respectivement, les 0,80% et 3 500 DA/habitant (entre 2014 et 2019)…
De toute évidence, la liste des réformes et des efforts à consentir n’est pas, ici, exhaustive.
Il convient d’ajouter à ce propos que la crise sanitaire de la Covid-19, outre son aspect néfaste et funeste, aura tout de même été un excellent levier pour développer d’autres formes de résilience avec notamment la quête quotidienne des professionnels du secteur pour réinventer le métier. La réflexion en cours pour la prise en charge des conséquences de tout risque sanitaire tel que la pandémie de la Covid-19 constitue un des acquis de cette terrible expérience.
Quel est l’apport et évolutions amenés par les technologies de l’information et de la communication, à l’image de la digitalisation, au profit du marché national des assurances ?
- Indéniable. C’est le moins que l’on puisse dire, s’agissant de cet apport. Dans le processus de numérisation du marché national des assurances, des efforts considérables ont été fournis et continuent de l’être par l’ensemble des acteurs pour améliorer non seulement le chiffre d’affaires global mais, aussi et surtout, en vue de rendre performantes les actions menées en directions des assurés et du potentiel assurable et ce, à divers niveaux.
Pour n’évoquer que ce qui est réalisé au CNA, pour illustrer un des aspects de cette modernisation opérée, notre Conseil a mis sur pied, depuis plus d’une demi-décennie, une Base de données centralisée des statistiques (BDCS), permettant une meilleure lecture et une fiabilité certaine des chiffres du marché. Adossée au portail algérien des assurances (ASSURAL, consultable sur www.cna.dz), cette base de données, ouverte partiellement au public et entièrement aux professionnels du secteur, via l’URL www.bdcs.dz, fait figure d’un des outils sur lesquels comptent les acteurs du marché national, afin de rendre leur management plus performants et le développement plus concret et plus rapide. Son ambition est d’être mue en un réel outil, parmi ceux considérés primordiaux, dans le processus d’aide à la décision.
Idem pour les sociétés d’assurances qui n’avaient de cesse de se mettre au diapason de la digitalisation. Beaucoup croyaient que la crise de la COVID-19 et les contraintes qu’elle a induite allait les empêcher d’assurer la continuité de leurs services et prestations. Or, il a été constaté une continuité des travaux au niveau de toutes les sociétés du secteur des assurances et ce, grâce au télétravail et à ce que permettent les technologies comme travaux à distance, y compris pour le paiement électronique et les plateformes digitales diverses.
En somme, les assureurs ont continué à fonctionner et à honorer leurs engagements contractuels, en dépit du ralentissement de l’activité économique et sociale de manière générale, dans notre pays comme à travers l’ensemble de la planète. Ceci pour dire que les compagnies d’assurances rivalisent d’ingéniosité en matière d’application des innovations technologiques liées au numérique et au digital.
Le CNA a un rôle consultatif, en matière d’agrément des sociétés d’assurances. Une supposée société du nom de Quick Assurance a été récemment mise à nue. Quels mécanismes pourraient être mis en place, pour prévenir contre ces cas de figure ?
- De prime abord, je relève que le CNA, consulté pour tout dossier d’agrément d’une société d’assurance appelée à exercer sur le marché national en application de l’article 218 de l’Ordonnance 95-07 du 25 janvier 1995 relative aux assurances, n’a jamais eu à traiter d’une société sous la dénomination que vous citez.
Pour rappel, toute personne, physique ou morale, est soumise à la loi algérienne, notamment les dispositions des articles 19, 20, 545 et 547 du Code du Commerce et doit, en outre, se conformer à un certain nombre d’exigences d’ordre légal pour pouvoir exercer sur le territoire national.
Afin de ne plus voir se reproduire ce type de situations, il y a d’abord l’éveil citoyen qui doit entrer en ligne de compte. En effet, avant de s’engager dans n’importe quelle démarche, dans ce domaine comme dans d’autres, il est impératif à ce que le citoyen s’informe au préalable. Le listing des sociétés étant disponible, l’on ne peut se laisser berner aussi facilement par n’importe quel faussaire, dans ce secteur ou dans un autre.
Néanmoins, il y a un rôle des associations de consommateurs qui n’est pas suffisamment joué, en dépit des efforts de quelques-uns à éviter ce qui peut l’être, dans un domaine comme dans un autre.
En ce qui les concerne, les acteurs du marché des assurances fournissent des efforts, peut être insuffisants sur certains aspects, en vue de permettre une meilleure vulgarisation. Il est du rôle de chaque acteur, d’aider à l’instauration et à l’élargissement du spectre de la culture d’assurance qui s’instaure, graduellement, dans le paysage national. Parfois, des budgets de sociétés d’assurances allant jusqu’à une moyenne de 5% sont consacrés aux volets communication et marketing par lesquels toute entreprise espère convaincre le potentiel client et fidéliser ses assurés. Il est impératif que contracter une assurance devienne un acte citoyen systématique dès qu’un risque pèse, que ce soit sur les personnes ou sur les biens.
Y a-t-il selon vous des possibilités d’investissements nouveaux et la création d’autres opérateurs dans un avenir proche ? Ou le marché est déjà en saturation ?
- Comme je viens de l’indiquer, le potentiel du marché reste énorme et, par voie de conséquence, de nouveaux opérateurs et acteurs pourraient trouver place sur le marché, à condition évidemment qu’ils puissent apporter une valeur ajoutée et qu’ils innovent afin de ne pas se retrouver dans des situations de stagnation, avant même qu’ils n’aient entamé un processus de développement.
Au jour d’aujourd’hui, le marché ne compte, au total que 24 sociétés d’assurances, entre assurances de personnes et assurances de dommages, réassurance, mutuelles et sociétés spécialisées y compris. Si ce nombre est quasiment identique pour des marchés de pays voisins, il reste, néanmoins, très inférieur à celui de pays développés, tel que l’Afrique du Sud qui compte quatre fois plus de compagnies que notre marché.
Nombre de compagnies d’assurances brillent par leur forte présence en termes de marketing opérationnel ou marketing-média, alors que d’autres se contentent des voies traditionnelles de mise en valeur. Votre organisme fait-il des orientations à même d’amener les compagnies d’assurance à être plus percutantes sur cet aspect ?
Il y a lieu de savoir que le Conseil national des assurances (CNA) est une instance consultative et n’impose aucune contrainte au marché. Néanmoins, les études que réalise le CNA peuvent être des outils à même d’aider les responsables des volets que vous évoquez dans leurs stratégies et décisions à prendre par rapport à telle ou telle démarche y afférente.
Le CNA ne peut, par conséquent, s’immiscer directement dans les relations commerciales menées par les sociétés d’assurances. Les règles du libre marché imposent à ce que les organismes du marché restent toujours neutres en ne prenant partie pour aucune démarche et/ou œuvre relevant du strictement commercial…
A.H
« Ce marché, déjà sous les contraintes de la crise socioéconomique et politique de 2019 qu’a vécues l’Algérie, a enregistré, à fin 2020, un chiffre d’affaires (prévisionnel, toutes branches confondues) de 137,3 milliards de DA, marquant une baisse de 6,1% par rapport aux réalisations de l’exercice 2019 ».
« La généralisation de la digitalisation, la formation de la ressource humaine suivant les standards internationaux ;la diversification et la vulgarisation des produits d’assurance, l’amélioration du taux de pénétration et de la densité qui ne dépassent pas, respectivement, les 0,80% et 3 500 DA/habitant (entre 2014 et 2019), sont les piliers de la réforme attendue du secteur »