Les bétons bas carbone, préoccupation majeure des majors du BTP

Au Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton (Cerib), Philippe Francisco, adjoint au directeur Matériaux et Économie circulaire, est bien placé pour le savoir : les acteurs de la construction s’intéressent de plus en plus à l’économie circulaire et à leur impact carbone. Dans ce contexte, les études autour des bétons bas carbone se multiplient. Si cette tendance tend à s’accroître, le spécialiste rappelle que les initiatives ne doivent pas se limiter aux recherches autour des matériaux, mais s’inscrire dans une démarche globale, passant par les processus de fabrication, les efforts des usines, ou encore la limitation des transports. Entretien.

Des initiatives qui se multiplient

 

Dans un contexte de prise de conscience de l’impact du secteur de la construction dans les émissions de CO2, les majors du BTP tendent de plus en plus à développer des solutions bas carbone. Et cela passe souvent par des recherches autour du béton et de ses liants. L’entreprise Hoffmann Green Cement Technologies, 6èmecimentier français, développe par exemple depuis 2017 des ciments à faible émissions de CO2, rejetant entre 200 et 250 kg de CO2 par tonne produite, contre 900 kg pour un ciment classique.

 

« Le domaine de la construction doit aujourd’hui rapidement évoluer face aux enjeux climatiques et à l’arrivée des nouvelles réglementations. Pour répondre à ces défis, nous avons créé des nouveaux ciments garantis sans clinker et à base de co-produits issus de l’industrie » résume Julien Blanchard, président et co-fondateur d’Hoffmann Green Cement Technologies.

 

Les alternatives développées par l’entreprise ont déjà convaincu Eiffage, qui a collaboré avec le cimentier pendant plus d’un an pour mettre au point un nouveau liant émettant 5 fois moins de CO2 qu’un ciment classique. Ce dernier sera notamment mis en œuvre pour la réhabilitation des Ateliers Gaîté à Montparnasse (Paris 14).

 

Bouygues Construction a également annoncé le 4 juillet dernier avoir signé un partenariat avec le Hoffmann Green Cement pour tester des formules de béton utilisant un nouveau ciment fabriqué à partir de la technologie H-EVA, qui présente une empreinte carbone de 70 à 80 % inférieure à celle d’un ciment Portland traditionnel. L’objectif pour Bouygues ? Obtenir les certifications nécessaires pour une mise en œuvre sur ses chantiers dès 2020.

 

Le rôle d’un organisme comme le Cerib

 

Parmi les partenaires qui aident les entreprises du BTP à développer des bétons bas carbone, on compte également le Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton (Cerib). L’organisme aide les industriels à développer de nouveaux produits qui répondent à la fois à des exigences d’efficacité et de résistance, mais aussi aux nouveaux enjeux introduits par le développement durable.

 

« Le développement durable est un aspect qui prend de l’importance en termes d’appui de la part de nos clients. On retrouve beaucoup de thématiques autour de l’économie circulaire, des usines qui visent le zéro déchet, des systèmes constructifs en béton avec un moindre impact, et des bétons bas carbone », explique Philippe Francisco, adjoint au directeur Matériaux et Économie circulaire.

 

Introduire des clauses vertueuses dans les cahiers des charges

 

Au sein du département « Économie circulaire », cela passe par une phase de prescription et l’inclusion de clauses adaptées dans les cahiers des charges : « On constate aujourd’hui, dans toutes les régions de France, qu’il y a des projets, qui, dès le cahier des charges, visent à inclure des clauses pour favoriser l’économie circulaire. On peut voir que certaines maîtrises d’ouvrage souhaitent même aller un peu plus loin que les normes existantes », se réjouit-il. « Et c’est une dynamique qui tend à s’accélérer. Tout le monde est bien conscient que les choses sont amenées à évoluer ».

 

Les bétons bas carbone passent aussi par l’intégration de granulats de béton recyclé. Ainsi, parmi les récents projets menés par le Cerib, en partenariat avec la Fédération de l’Industrie du Béton (FIB), on peut citer la construction de la Résidence Le Onze à Chartres, pour laquelle 80 tonnes de granulats de béton recyclé issus d’anciens bâtiment de la ville ont été intégrés dans les 400 m2 de bétons structuraux.

 

Adapter les formulations

 

Philippe Francisco rappelle qu’aider les fabricants et fournisseurs de matériaux dans leurs essais de caractérisation demande de nombreux ajustements afin que les produits répondent à la fois à des enjeux écologiques et aux performances habituellement attendues en termes de résistance mécanique et de résistance au feu : « On ne doit pas rogner sur les performances structurelles des bâtiments, ni sur la sécurité », souligne le spécialiste.

 

« Pour augmenter les performances mécaniques du béton, on peut par exemple être amenés à baisser un peu la quantité d’eau. C’est un moyen assez simple et peu onéreux d’augmenter ses performances », explique-t-il.

 

Concernant la résistance du béton recyclé, le spécialiste cite notamment les retours d’expériences du projet Recybéton : « Il y a eu beaucoup d’études sur les aspects matériaux, mécaniques, durabilité, dimensionnement etc., donc tout cela fait l’objet de recommandations pratiques pour les acteurs qui souhaitent devancer les futures évolutions normatives ».

 

Travailler sur les matériaux, mais aussi sur les processus de fabrication

 

Pour Philippe Francisco, il ne suffit pas de s’intéresser aux matériaux pour parvenir à des réductions d’émissions de CO2, mais aussi et surtout aux process et à l’ensemble de la démarche : « Si on veut vraiment accélérer et être encore plus vertueux vis-à-vis de l’économie circulaire et des réductions d’émissions de carbone, il convient de ne pas regarder uniquement le matériau en lui-même, mais de regarder l’ensemble : de se demander par exemple comment fonctionne l’usine, ou de s’interroger sur son caractère vertueux vis-vis de la gestion de ses déchets ».

 

« Je pense que l’on ne connaît jamais l’impact réel de CO2 d’un produit ou d’un système constructif parce que cela va dépendre de comment il va être transporté le jour J, comment il va être mis œuvre, quel est l’impact de l’entreprise qui va le mettre en œuvre, est-ce qu’elle a fait ce travail de « vertuosité », en termes de distances de transport, en termes d’emplois locaux. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il faut être dans la démarche, et je pense que si on est dans le sens de la démarche, tous les pas ou les avancées que font tous les acteurs, conduisent de fait à une meilleure situation », conclut-il.

 

Propos recueillis par Claire Lemonnier

Photo de une : ©Adobe Stock

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